C’est sous une averse de lourds flocons que je m’engage dans l’étroit canyon de la rivière de l’Aras.

Lorsque j’en sors le soleil embrasse les falaises rouges de l’Iran tandis que sur l’autre rive les hauts sommets enneigés du Caucase s’éloignent peu à peu à chaque tour de roue. À peine arrivé dans la première ville je suis invité à prendre un thé qui devient un repas qui devient initiation aux dominos. Ce n’est que deux heures plus tard que je parviens à reprendre la route toujours le long de l’Aras qui, il y a fort fort longtemps, irriguait l’Eden.

En sortant du canyon de l’Aras

Alors que les crépuscule commence à poindre j’aperçois sur l’autre rive un énorme sanglier. À moins de 20 m je le regarde se promener nonchalamment tandis que je m’amuse de constater que les voitures ne le remarquent même pas.

Le bazar de Tabriz

Un peu plus loin arrivé à un péage les gardiens m’invitent à me réchauffer avec eux près du feu. Et je passerai finalement la nuit avec eux à discuter. Le lendemain c’est enchanté par mon premier jour en Iran et espérant que les suivants seront tout aussi incroyables que je pars en direction de Tabriz. Lorsque j’y parviens 2 jours plus tard le moral est plus morose usé par le froid, fatigué par les dures semaines à travers le Caucase et un peu déçu de traverser que des villes de plusieurs centaines de milliers d’habitants. En sortant du bazar, l’un des plus anciens bazar couvert du Moyen-Orient je fais la rencontre de Nasser, le responsable de l’office du tourisme, qui me donne trois conseils pour mon séjour ici

1) apprendre à lire et dire les nombres pour éviter les arnaques

2) ne pas prendre en photo les femmes en tchador noir

3) ne jamais se moucher à table ce qui est extrêmement impoli.

Il organise une sortie pour le village troglodyte de Kandovan le lendemain à 50 km de là. Cela me fera la pause dont j’ai besoin. Remotivé, il est maintenant temps pour moi de quitter la route principale pour m’enfoncer dans les montagnes iraniennes, ses paysages incroyables, ses petites villes et villages et surtout découvrir l’extraordinaire hospitalité iranienne.

Le village de Kandovan
Une soirée à l’iranienne

La première nuit, je rencontre Behnam et Merhrdad, tout deux milieu de la vingtaine qui se réclament humanistes effarouchement athées. La seconde nuit, c’est Ali, croyant mais sans illusions sur le gouvernement, qui m’accueille. Peintre, il a quitté le chaos de la capitale pour la quiétude des montagnes. La nuit suivante, c’est Farid et ses frères qui m’invitent à passer la nuit avec eux. 18 ans, insouciants, ils profitent de la vie autant qu’ils le peuvent quels que soient les restrictions et les interdits. Le lendemain Baman, jeune papa, m’offre l’hospitalité dans son petit village de berger. À l’âge de son fils, ils étaient 150 élèves à l’école, ils ne sont plus que deux aujourd’hui. Mais lui est trop heureux de vivre dans ses montagnes pour partir pour la capitale comme tant d’autres l’ont déjà fait.

Le village de bergers

Un dernier col à 2300 m et je parviens enfin à Masouleh, le village accroché sur le flanc abrupt de la montagne et réputé pour être l’un des plus beaux d’Iran. Il est tellement pentu que les toits des maisons font les ruelles de celle d’au dessus. Alors que c’est sous un épais brouillard que le village s’endort, c’est sous 40 centimètres de neige fraîche qu’il se réveille.Masouleh dans la brume

Je quitte donc les montagnes pour rejoindre la mer Caspienne à 2 jours de là. C’est là que je rencontre Moslam, avec qui, après un incroyable quiproquo, je me retrouve le lendemain à plus de 80 km de là à manger du poisson chez un pisciculteur tout en écoutant le chanteur d’opéra traditionnel Mohammad Reza Shajarian.

Après avoir passé deux jours et demi avec un vent de face à décorner mon guidon, je n’ai plus qu’une hâte, c’est de retourner dans les montagnes car j’ai été séduit par ses paysages et l’accueil des gens. Me voilà donc parti pour la vallée d’Alamut où se trouve le château d’Alamut, repaire de la terrible secte des Assassins. J’ai décidé que cela serait mon cadeau de Noël un peu en avance.

Pour y accéder je dois passer par un col à 2300 m. J’y parviens vers 16h. Les gars de l’antenne du Croissant-Rouge me proposent un thé, que j’accepte bien sûr avec plaisir. Lorsque je m’apprête à repartir, ils me disent de rester ici pour la nuit. C’est le jour le plus court de l’année, la nuit ne tardera pas à tomber et surtout la descente est très périlleuse aussi bien pour ces virages en épingle que pour les loups qui rôdent.

La descente dans la vallée d’Alamut

Après avoir fait une petite patrouille en 4*4 dans la nuit, nous sommes rejoint par le chauffeur de chasse-neige qui est déchaîné et ne cesse de faire des blagues graveleuses déclenchant l’hilarité chez mes hôtes. Ne me faisant pas prier pour rentrer dans son jeu, c’est bras dessus bras dessous que nous partons faire un tour de chasse-neige. La descente est en effet dangereuse, et captivé par le paysage de la vallée qui s’ouvre devant moi, j’évite de justesse plusieurs fois de me retrouver dans ce fabuleux décor.

La route fait le yoyo entre les hauteurs de la vallée et sa rivière. C’est dans l’une de ces montées, que je suis dépassé par une moto qui s’arrête et m’attend quelques mètres plus loin. Dans un anglais parfait, Rasoul se présente. Il est guide dans la vallée et il part en repérage pour faire l’ascension d’un 5000 mètres le lendemain. Après avoir sympathisé, il me propose de me joindre à l’ascension. Je suis emballé, mais je suis un peu limité niveau équipement. Le soir, il me rappelle comme convenu pour me dire ce qu’il en est. Avec la neige, l’ascension prendrait 2 jours au lieu d’un, et ni lui ni moi ne sommes équipés pour un bivouac en haute montagne. Tant pis. Mais il m’invite à passer chez lui au retour.

Après un jour et demi dans la vallée, 90 km et 2000 m de dénivelé positif, je suis enfin au pied du château. Véritable nid d’aigle sur un piton rocheux protégé par un étroit et profond canyon, il fallait vraiment tenir à la mort de quelqu’un pour vouloir venir jusqu’ici. Le château, en lui-même, n’est plus que des ruines protégées des intempéries par des toits en tôle. Je suis un peu déçu, mais rien que pour le point de vue qu’il m’offre sur la vallée, il mérite les efforts qu’il m’a demandé.

Le château de la secte des Assassins

Et comme pour Masouleh, ce qui compte n’est finalement pas la destination mais le chemin qui y mène.

Razoul

Et il n’est pas fini, puisque je dois maintenant le faire dans l’autre sens et passer voir Rasoul. À 23 ans, je suis ébahi par sa détermination. Encore étudiant, il mène de front ses études et son activité de guide. Il parle également plusieurs langues apprises en autodidacte. Et il est en train de construire un petit éco-hôtel pour y accueillir ses clients. Quand on a pas de perspective d’avenir, il vaut mieux se le bâtir soi-même sans attendre ou espérer que quelqu’un le fasse pour nous.#leçondevie. On parle aussi de sa clientèle et de leurs différences de tempérament en fonction de leur nationalité. La palme des meilleurs clients revient sans hésiter aux Belges pour leur spontanéité et leurs camaraderie devant les Français et les Italiens. Le lendemain, sur les conseils de Rasoul, je fais une petite promenade pour visiter un autre château mon loin. Au détour d’une colline, j’aperçois l’espace d’un instant une bête qui plonge se cacher dans les fourrés en contrebas. C’était trop gros pour être un renard et en même temps trop petit pour être un loup. Je continue ma progression et quelques mètres plus loin, je vois une tête dépasser des hautes herbes. Il me regarde, j’avance, il n’y a plus de doute, c’est un loup. Il s’enfuit le long du flanc de la montagne effectuant un large arc de cercle pour m’éviter, me laissant alors tout le loisir de l’observer. Je continue alors ma balade équipé du nec plus ultra du néolithique: un bâtons, craignant quand même un peu de me retrouver face à la meute.

La famille au complet

Le soir je rejoins sans enthousiasme Qazvin, une ville où je suis déjà passé avant d’aller dans la vallée d’Alamut. Alors que je m’apprête à rentrer dans un hôtel, un jeune boulanger m’interpelle de l’autre côté de la rue pour m’inviter à prendre un thé. Et comme souvent en Iran, je me retrouve une heure plus tard chez son grand-père, avec toute sa famille réunie, sa mère, son frère, ses filles et ses gendres et leurs enfants.Le grand-père me fait asseoir à sa droite et m’embrasses comme un fils. Le lendemain, après avoir aidé à la boulangerie à faire le taftoun (un type de pain iranien) à la boulangerie, il m’emmène visiter la ville que je découvre sous un bien meilleur jour que la première fois. C’est sous une pluie battante que je reprends la route le lendemain. Nous sommes le 25 décembre, j’ai un peu l’impression de dire au revoir à un grand-père d’adoption. Je ne pourrai jamais le remercier assez pour son accueil et celui de sa famille en cette veille de Noël.

Après une journée passée sous une pluie continue, j’arrive finalement à Karaj, une ville à 40 km de Téhéran avec plus de 3 million d’habitants. Alors que je désespère de trouver un hôtel pour me mettre enfin au sec, un commerçant, Hamid me fait signe de le rejoindre. Cycliste lui aussi, il est ravi de me voir. Et avec Ali, un ami à lui, il m’offre un merveilleux cadeau de Noël après une journée aussi humide, une soirée en leur compagnie à la piscine avec sauna, hammam et jacuzzi.

26 décembre, me voilà enfin à Téhéran après 3 mois sur les routes. Je n’ai plus qu’à attendre ma “femme” comme j’ai fini par prendre l’habitude de la présenter et les vacances peuvent enfin commencer.

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