A peine la frontière passée, je suis accueilli par de timides mais bien présents flocons de neige. Et à mesure que je remonte le canyon de la rivière Debed bordé par d’impressionnants pics, je vois la température descendre. Tel sera désormais mon quotidien en Arménie, des montagnes,  de la neige, et le froid.

Les montagnes, la neige, et le froid

Le second jour de ma remontée du canyon pour accéder au plateau arménien, je fais halte pour visiter deux monastères arméniens celui de Haghpat et de Samakin, tous deux classés au patrimoine mondiale de l’UNESCO. Contrairement aux géorgiens surchargés d’icônes, les monastères arméniens sont des plus sobres et épurés, mettant en valeur leur architecture.

Le monastère de Samakin

Le jour suivant, je me retrouve devant une route barrée car un tunnel à 5 km est en travaux. La déviation me demanderai au minimum un jour de plus. Et Richard, un cyclo-voyageur rencontré à Tbilissi m’avait prévenu qu’il avait pu passer en empruntant la voie ferrée adjacente. Je décide donc de tenter ma chance.
Arrivé devant le fameux tunnel malgré les nombreuses mises en garde des gens que je croise, les ouvriers me barrent la route. Le chef de chantier arrive. Je lui demande pour passer. Il refuse en me disant que c’est dangereux. Je lui montre mon casque, mais rien n’y fait. Je me dirige alors vers la voie ferrée. Il me rappelle, c’est gagné. Il me conduit tout d’abord à son bureau où il m’offre un sandwich. Et il me demande si je suis avec le couple de franco-autrichien qui ont voulu passer hier. Finalement, il appelle un de ces gars qui m’escorte dans le tunnel. Il n’est pas juste en rénovation, mais en reconstruction; une partie c’étant effondrée. Enfin sorti du tunnel, j’ai maintenant un objectif: rejoindre mes deux compagnons cyclistes en admettant qu’ils aient passé eux aussi le tunnel et sont donc devant moi. Je pousse donc tard dans la soirée. Cette nuit là, le thermomètre affiche un réjouissant – 10°C lorsque je plante ma tente.

Le lendemain, une épaisse brume empêche les rayons du soleil de me réchauffer. Et malgré la monté qui s’accentue, j’ai vraiment froid. Mais peu a peu, les rayons commencent à percer à travers les nuages. Et j’émerge enfin de cette épaisse chape de brouillard. Je poursuit l’effort jusqu’au col qui n’est plus très loin. Enfin libre. Fini le canyon, fini la brume et le froid, le soleil embrasse mon visage et illumine le plateau enneigé qui s’étale devant moi sur lequel ce dresse le mont Aragats majestueux.

Le mont Aragat

 

La Sainte Lance

Deux jours plus tard, j’arrive à Etchmiadzin, l’équivalent du Vatican pour l’église Arménienne. Il est maintenant peu probable que je retrouve mes comparses cyclistes. Outre les magnifiques bâtiments et églises, la salle du trésor conserve deux reliques millénaires: un bout de l’Arche de Noé échouée sur le Mont Ararat non loin, et la Sainte Lance, avec laquelle le légionnaire transperça le flanc du Christ sur la croix. Il y a en fait cinq Sainte Lances dans le monde, mais on m’a assuré que celle-là est l’authentique. Cela n’a finalement que peu d’importance, car ces deux reliques sont devenues de véritables morceaux d’histoire pour l’importance que les gens leurs ont accordés au fil des siècles.

Le soir, je célèbre mon 3000 kilomètre sur la place de la liberté en plein cœur d’Erevan. Plus occidentale que Tbilissi, je suis saisi par la modernité de la capitale qui contraste avec le reste du pays. L’importante diaspora arménienne a permis a la ville de se reconstruire et de se développer, faisant oublier le passé soviétique.

Mon 3`000 km à Yerevan

Un bel exemple est la cascade, édifice mythique de la ville, sa construction fut commencer par les soviétiques dans les années 70 avant que la construction ne soit abandonnée. En 2012, l’édifice est racheté par un riche américain d’origine arménienne qui finit les travaux et le transforme en galerie d’art contemporain. Au sommet de la cascade, on a théoriquement une vue imprenable sur la ville et le Mont Ararat. Mais l’épais nuage de pollution dissimule le célèbre mont.

La cascade à Yerevan

Alors que je déguste un café arménien, j’aperçois une jeune européenne gratter son cahier, signe assez caractéristique des voyageurs au long cours. Je me présente. Lili, une jeune allemande de 19 ans, n’est finalement pas une voyageuse, mais elle effectue un volontariat international pour un an à Erevan. Après avoir discuté, elle me propose de venir dormir dans leur appartement, car ils ont une chambre de libre. Fantastique. Je passe donc deux jours avec Lili et ses colocs ouù j’ai un peu l’impression d’être retourné en Erasmus.

La flamme du souvenir du génocide arménien

Le dernier jour, je me rends au mémorial du génocide arménien. Seul à contempler la flamme du souvenir et écouter la musique, j’ai du mal à contenir mon désespoir face à la barbarie que l’homme est capable de s’infliger à lui-même. En retournant à mon vélo, j’aperçois deux jeunes gens qui le regarde avec attention. Il s’agit d’un couple de cyclotouristes et aussi, une Française et un Australien. “Austrian” “Australian”, j’ai finalement retrouvé mes fameux cyclistes. Le soir, nous nous rendons ensemble à un bar pour retrouver Lili et les autres volontaires internationaux. Un concert il est donné.

Et pour nous trois qui n’avons plus l’habitude d’écouter de la musique, c’est un véritable bonheur que d’écouter de la musique live et de se laisser transcender par l’énergie du groupe. Le lendemain, je pars pour le monastère de Geghard, le plus important est le plus beau des monastères Arméniens. Niché dans un cirque rocheux, il est en partie creusé à même la roche et n’est pas sans rappeler le temple de Petra.

Le monastère de Geghart
Le monastère de Geghart
Le Mont Ararat émergeant des nuages

Je le quitte alors que le soleil illumine les falaises d’une lumière rouge annonçant le crépuscule. Je descends à toute berzingue avec une idée fixe, voir le coucher de soleil sur le mont Ararat. Au fond de la vallée, je le vois enfin apparaître. Je redouble d’efforts pour m’en rapprocher mais emporté par la fougue, je rate un embranchement sur la piste, et me retrouve coincé par les eaux d’un lac au beau milieu de nulle part. Les montagnes, le lac, et la silhouette du mont se découpant à l’horizon, c’est une véritable carte postale et malgré le froid je profite ce soir là d’un de mes plus beaux bivouacs. Le lendemain, je repars tambour battant bien décidé à le contempler de plus près. Mais à mesure que je me rapproche la brume le dissimule, et bien que la route le longe à moins de 20 km, je ne peux l’apercevoir. Le soir alors que je repars dans les hauteurs du Caucase, je tente un dernier regard et je vois ces deux sommets émerger de la brume tandis que la tandis qu’a côté le soleil rougeoyant s’y enfonce.

Jusqu’à maintenant, je n’avais rencontré que peu d’Arméniens, qui sont d’un premier abord aussi rudes que leur terre. Mais ce soir-là, je découvre qu’une fois passé le seuil de leur porte, ils vous accueillent comme un frère. Les toasts s’enchaînent, le cognac coule à flot, la nourriture et un délice, on rit, on blague, on s’embrasse, une fantastique soirée. Le lendemain, je remercie vivement Lucillé et son mari, qui m’offre un pot de sa divine confiture d’abricot fait maison en cadeau d’adieu. Je ne pouvais pas espérer mieux. Les premiers coups de pédale ne se font pas sans mal (de tête). Mais j’ai le plaisir d’avoir enfin le majestueux Mont Ararat qui m’accompagne tout le long de mon ascension jusqu’à la vallée d’Arpa.

Le Mont Ararat
Tout comme en Géorgie, le vin est une tradition millénaire ici. Et la vallée d’Arpa en est son sanctuaire. Tout aurait commencé avec Noé, qui sur les flancs du mont Ararat, a fait pousser les premiers pieds de vigne sauvage, avant de s’enivrer avec le fruit de sa récolte. Plus prosaïque, les archéologues y ont retrouvé des traces de vinification datant de 6000 ans avant Jésus-Christ.
Un monastère de la vallée d’Yeghegis
Après une journée et demi passée dans la vallée de Yeghegis, l’une des plus riches en patrimoine historique, monastères et châteaux, il est temps pour moi de rejoindre le plateau qui me mènera à Tatev.
De la neige est annoncée pour le lendemain. Je dois donc passer le col de Voroton qui culmine à 2300 m dans la journée ou je serai coincé. Il est midi, la course est lancée. Les 50 premiers kilomètres passent à toute allure, et c’est bien ce qui m’inquiète puisque je n’ai quasiment pas entamé les 1300 mètres de dénivelé positif du jour. Devant moi se dresse maintenant un mur de 20 km avec 1100 mètres à gravir. À 5 km/h , je gravis mètre après mètre. Je veux le passer avant la nuit. La nuit tombe.Qu’importe, c’est entre lui et moi maintenant, je ne poserai pied à terre que quand je l’aurai vaincu. Je serre les dents. Un dernier virage, dernièr effort, la porte qui marque le col est là. Complètement shooter à l’endorphine, j’exulte comme un gamin. Je parcours les 10 km de descente qui me séparent du premier village complètement euphorique. Au réveil quand je sors de la station-service où j’ai passé la nuit, la neige est là, ça a été juste.
On finit toujours par redescendre ce que l’on monte.  Et après 50 km de montagne russe, j’ai maintenant 20 km de descente qui s’offrent à moi avec une pointe à 70 km/h, nouveau record personnel.  Arrivée dans la vallée, le monastère de Tatev est juste là devant moi, perché sur une falaise avec 6 petits km à 12 % qui nous séparent. Il n’y a plus qu’à…
Le monastère de Tatev
En quittant Tatev, je savoure un dernière instant la vue de ce monastère qui domine paisiblement la profonde vallée. Il n’y a maintenant plus qu’un obstacles qui me sépare de l’Iran, le col de Meghri à 2536 mètres. Je fais halte à Karjaran, ville qui vit exclusivement de l’exploitation de minerai de molybdène, et dernière agglomération avant le col. La température est bien en dessous de zéro et la neige est là en abondance. Je n’ai pas franchement envie de camper ce soir. Malgré avoir sympathiser avec des gens dans un café, aucun ne me propose l’hospitalité. Ils me conseillent de dormir dans la station-service à côté. Je tente ma chance. Premier refus. Je tente à nouveau ma chance dans une autre station-service. Second refus cinglant. Résolu à mon sort, je sors de la ville pour me trouver un petit coin pour planter ma tante. Alors que j’inspecte un endroit prometteur, trois jeunes gens, qui m’ont vu passer, viennent à ma rencontre. Ils me conduisent dans un appartement dont les parents de l’un d’eux sont propriétaires. Il n’y a pas d’électricité, pas de chauffage. Mais la soirée est plus que chaleureuse. Varghan fait son service militaire et est en permission. Nexis, son frère, vient de terminer le lycée tout comme Arthur. Après avoir porté de nombreux toasts à notre rencontre, nous nous endormons à 4 sur le lit clic-clac 2 places. Mais au moins on a chaud.
Un repas arménien

Lendemain, au premier coup de pédale, mon dérailleur arrière casse net. Je passe la matinée à le changer avec un de secours que j’avais pris. Mais de marque différente à mes manettes,  Je n’ai plus que 6 vitesses au lieu de 8. Alors que je m’apprête à repartir il me demande de rester une journée de plus. J’accepte bien volontiers. En plus c’est jour de fête. La maman reçoit des amies. Nous sommes chargés de préparer les kebabs ( brochette de viande). En fin d’après-midi,  Varghan me montre les vidéos de sa fête avant qu’il parte au service et celle de la “dernière cloche” de son frère. Il s’agit du dernier jour au lycée. Cette journée synthétise bien l’Arménie d’aujourd’hui. Avec la famille en son cœur, l’art de la table et de la fête en pierre angulaire, la religion comme pilier, et le passé et l’hommage aux soldats disparus comme fondation. Après le repas au en couleur, où je suis un peu l’attraction de toutes ces dames, je remercie du fond du cœur mes nouveaux amis et leurs parents, car en une journée à leur côté, j’ai plus appris sur l’Arménie qu’en 2 semaines passées dans le pays. Lorsque je m’engage sur la route du col, j’ai un peu l’impression de laisser derrière moi trois petits frères d’adoption sans que je parvienne à savoir qui de nous a adopté l’autre.  Le soir venu la frontière avec l’Iran est en vue. Cette frontière m’intimide, elle m’impressionne. Je décide de passer une dernière nuit en Arménie, où après un bon repas où je dépense mes derniers drams, je m’en vais dormir dans un wagon désaffecté. Au matin la neige est là comme elle l’avait été lors de mon premier jour. Il est temps d’aller au sud.

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