Ispahan

 

Nous retrouvez pour ces deux semaines de vacances a été certainement le plus beau cadeau que je pouvais espérer. Mais après avoir profiter ensemble de la magnifique ville d’Ispahan et de Téhéran, la voir repartir est un déchirement.Et je n’ai plus qu’une hâte, c’est de reprendre la route. Malheureusement mon visa pour l’Ouzbékistan prend beaucoup plus de temps que prévu et je dois ensuite demander celui du Turkménistan. En attendant, je m’occupe comme je le peux dans cette mégalopole qu’est Téhéran.

Cette ville est effrayante au premier abord: immense, surpeuplé avec 15 million d’habitants, très polluée, et où traverser la rue s’avère une hasardeuse aventure. Fort heureusement, elle réserve quelques belles surprises si on y passe suffisamment de temps. Outre les musées, les palais et quelques jolies mosquées, les grands parcs offrent un havre de paix qui permet de s’évader l’espace d’un instant la cohue téhéranaise. Et elle devient même intrigante à mesure qu’on la découvre. Les nouveaux centres commerciaux où l’on trouve les tous derniers iPhone et Samsung contrastent avec les bazars et les rues commerçantes organisées par secteur. Par exemple, je loge dans le quartier des pneus. Près du centre, c’est l’un des plus pauvres de la ville, en témoigne les sans-abris qui se réunissent dans les ruelles adjacentes pour fumer l’opium à la nuit tombée. Les quartiers nord, qui surplombent la ville et sa chape de pollution, sont les quartiers huppés. Au milieu des immeubles d’habitation au style architectural prétentieux, circulent les tous derniers modèles de voitures occidentales. On y trouve des cafés à l’occidental avec des prix à l’occidental où les jeunes femmes peuvent même se permettre de déguster leur americano en fumant une cigarette.

Une mosquée de Téhéran

Myriam a quitté l’Iran il y a plus de 40 ans, mais elle fuit l’hiver germanique pour passer plusieurs mois avec son mari allemand dans la capitale iranienne. Avec sa double culture, elle a un regard très incisif sur son pays d’origine et la capitale. Selon elle, le plus gros problème est le chômage notamment chez les jeunes. Officiellement il est de 10 % chez les jeunes. Mais elle m’assure qu’il dépasse allègrement les 30 % malgré le fait qu’ils sont nombreux à avoir étudié à l’université comme j’ai déjà pu m’en rendre compte. Sans avenir, sans emploi, beaucoup de jeunes tombent alors dans la drogue. Ils seraient deux millions à Téhéran. Mais le problème n’est pas l’opium, dont la consommation est plus “culturelle”, ni l’herbe, mais des drogues de synthèse qui ont fait leur apparition ces dernières années et sont devenues un véritable fléau. Et quand je lui demande si elle est confiante pour l’avenir avec l’accord sur le nucléaire et la levée des sanctions. Elle me répond qu’elle ne pense pas que la situation s’améliorera, notamment parce qu’elle est en partie entretenue par le gouvernement pour mieux contrôler le peuple. Mais au moins le pays est sûr contrairement à la Turquie par exemple. Elle est aussi très critique vis-à-vis de l’élite qui vit dans le nouveau quartier au nord de la ville. Pour elle, ce sont de nouveaux riches qui ont fait fortune dans l’import-export profitant des sanctions internationales et des fonctionnaires qui jouissent de la corruption pour s’engraisser tandis que le reste de la population est étranglée par l’inflation galopante. De plus ils aspirent à un mode de vie à l’occidentale qu’ils fantasment à travers les films mais restent traditionnel dans leur façon de penser. Ils sont devenus des personnes acculturées qui ne croient plus qu’à l’argent. Et c’est encore plus vrai pour la jeunesse dorée.

l’ayatollah Khomeini

Il semble du moins qu’elle n’est qu’en partie raison. À l’occasion d’une soirée poésie, je rencontre une partie de cette jeunesse dorée. Ils se réunissent toutes les semaines pour réciter de la poésie et jouer de la musique traditionnelle. Outre l’anglais, je suis surpris de découvrir qu’ils sont nombreux à être francophile. Certains veulent en effet immigrer vers l’Europe ou pour les USA. Mais d’autres sont revenus. Comme Ali, qui après avoir vécu en Allemagne en Italie, a décidé de rentrer pour être auprès de sa mère et aussi car il a réalisé qu’il ne comprenait pas sa culture. Il ne confie que même en s’y intéressant en détail, il a toujours du mal à comprendre la mentalité iranienne et sa culture,infiniment complexe. Un bon exemple est la relation ambivalente qu’entretiennent les Iraniens avec les États-Unis. Depuis 1958 et le coup d’État avorté orchestré par la CIA, ils ont l’impérialisme et l’ingérence américaine en horreur. Et les relations entre les deux pays ne se sont pas améliorées après que l’ambassade américaine est été envahi par les étudiants sur l’ordre de Khomeiny pendant la Révolution islamique ou le soutien américain à Saddam Hussein lors de la guerre Iran/Irak ou encore le crash d’un vol civil iranien provoqué par un missile de US Navy. De plus, ils ont été terriblement blessés lorsque G. W. Bush  à classer l’Iran sur l’axe du mal après le 11 septembre. À  ce propos, ils me demandent souvent comment je trouve l’Iran et les Iraniens avant de rajouter “tu vois, on est pas des terroristes.”.  Et malgré tout cela, nombreux m’ont dit avoir  Était véritablement peinée pour le peuple américain après les attaques du 11 septembre.  Et comme déjà évoqué, le mode de vie occidental et en particulier américain est érigé comme un modèle de réussite et parvenir à émigrer aux États-Unis s’avère être l’accomplissement ultime pour beaucoup.

Une nuit dans le désert

Via couchsurfing je rencontre Ali. Lui aussi cyclotouriste, il était parti pour un tour du monde l’année dernière. Mais malheureusement sa demande de visa pour l’espace Schengen a été rejeté. Il est donc retourné en Iran et a repris le cours de sa vie. À peine nous nous sommes retrouvés qu’on dirait deux amis de longue date. Chacun voyage pour ses propres raisons. Certains le font pour découvrir, et se découvrir, d’autres partent la recherche d’autres choses ou pour marquer un nouveau départ. Pour d’autres encore le voyage est une fuite, un moyen de s’évader de réalités qu’ils refusent. Et c’est souvent un peu de tout cela.  Mais on trouve toujours une part de soi dans les autres voyageurs et globe-trotter, et c’est encore plus vrai avec les cyclo-voyageurs. Avec du fromage et même du bleu, je me sens comme à la maison chez lui. Le weekend, nous allons rendre visite à un de ses amis de la fac à Kashan près du désert Dadht-e-Kavir. Nous passons une nuit au milieu des dunes à boire du thé et à manger des kebab cuits sur les braises du feu. A voir les lumières de la ville à l’horizon, j’ai l’impression d’être sur l’océan, un océan de sable. Et hypnotisé par son immensité et son horizon infini, j’attends son appel, comme les marins peuvent entendre l’appel du large. Face à lui je ne suis rien, et je prends conscience de ma vulnérabilité avec un certain plaisir,  comme on joue à se faire peur au-dessus du vide. C’est un endroit aussi magique que dangereux. Il est sans pitié et ne pardonne pas la moindre erreur, comme pour les deux touristes iraniens, qui perdus dans le désert, y ont laissé leurs vies l’année dernière.

Le désert aux premières lueurs de l’aube
Quelques jours après notre excursion, j’ai enfin mon visa ouzbek. Je fais la demande pour le Turkménistan dans la foulée. Je pourrai le récupérer à Mashhad dans 10 jours. Il est temps de reprendre la route et pour mon plus grand plaisir, Ali m’accompagnes pour quelques jours.

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