Une sortie sur le lac de Vienne entre potes

Sur les quais du bord du lac de Vienne, je vois arriver au loin le dernier ferry de la journée. A son bord officie Schumi en tant que matelot. Avec d’autres comparses nous avons été moniteurs de voile pendant plusieurs saisons. Le ferry n’est maintenant plus qu’à quelques encablures et entame sa manœuvre de port. Aujourd’hui débarqués ici et là, nous nous voyons moins, mais la passion de la voile et tous nos moments partagés continuent de nous unir. Les amarres sont jetées, les passagers débarquent et remontent le quai. Et si au hasard de la vie, il nous arrive de se croiser, les retrouvailles sont toujours un plaisir. Tout comme aujourd’hui, lorsque Schumi vient à ma rencontre avec un grand sourire. Ni une ni deux, après avoir posés les affaires, nous voilà parti pour une petite nav sur le lac. Le Jura nous contemple glisser sur l’eau poussé par une légère brise, le crépuscule nous enveloppe peu à peu, il ne reste que nous et le silence à peine troublé par le léger clapot, tout est simple, parfait. « Qu’est ce qui lorsqu’on le partage reste entier ? me demande alors Schumi. Le bonheur ! » Bien entendu. Et en cet instant, cela est d’une merveilleuse évidence. Et s’il fallait faire 14’000 kilomètres pour le comprendre, même à moins de 500 kilomètres de chez moi, chaque tour de roue en valait la peine.

Le Moléson et le lac de Gruyère

Le lendemain, avec le sommet du Moléson en ligne de mire, je traverse Fribourg, puis longe le lac de Gruyère, et arrive enfin dans la ville de Bulle. Voila un peu plus de dix que je n’étais revenu dans cette région et cette ville, où j’ai passé plusieurs années de mon enfance. Mais c’est déjà comme si j’étais un peu de retour à la maison. D’autant plus que j’en profite pour prendre un café avec un copain de primaire et de passer la soirée et la nuit chez des amis de la famille. Après une petite étape, voilà la France juste de l’autre côté du Lac Léman. Je pensais que je serais plus heureux, ou ému. Quoiqu’il en soit, elle attendra une nuit de plus, car je passe la journée chez d’autres amis de la famille. Incontestablement, le voyage prend une nouvelle tournure. Après le temps du départ, des découvertes, puis celui où le voyage était devenu véritablement mon quotidien, voilà maintenant le temps de retour, celui des retrouvailles.

Premiers mètres en France
Une balade en famille

Je passe enfin la frontière. Je ne peux m’empêcher d’appréhender ce retour. Que vais-je y découvrir, cela me plairait-il ? Y retrouverais-je la bienveillance qui m’a surpris tout au long de ma route ? C’est questions resteront pour l’instant sans réponses. Je passe deux semaines dans les Alpes où je retrouve successivement ma belle-famille, ma compagne, et enfin ma famille. Que c’est doux de tous les retrouver, d’être « Ré-uni ».Etre à nouveau « uni », c’est retrouver une part de soi-même laissée derrière, et le bonheur dans l’intime conviction d’avoir tout ce qu’on peut espérer. Je réalise aussi que ces neuf mois ont filé beaucoup plus vite pour moi et ont été surement plus durs pour eux.

Ces deux semaines sont aussi l’occasion de renouer en douceur avec une vie sédentaire. Je suis surpris de la vitesse à laquelle mes habitudes et reflexes de ma vie d’avant le départ font leur retour. Au point que lorsque je me remets en selle pour achever le périple, je me surprends à retrouver certaines appréhensions que j’avais eu en Turquie. Fort heureusement, quelques heures de route les laissent derrière moi et la magie du voyage opère à nouveau.

C’est reparti!

Ce soir là, je m’arrête dans un café sur le bord de la route une dizaine de kilomètres après Grenoble. Des artisans y prennent un verre pour conclure la journée. Après avoir vu mon vélo, la conversation s’engage rapidement. Epatés autant que curieux, ils me bombardent de questions sur mon périple, tandis que les bières se succèdent. La soirée se poursuit, et le patron du troqué offre le repas à ceux qui sont restés. J’ai eu la chance de partager de nombreux moments de convivialité et de simplicité comme celui-là tout au long du voyage. Mais celui-ci a une saveur toute particulière car je suis chez moi, et qu’entre le fromage, le pinard, les railleries et les protestations, nos origines diverses n’ont pas leur place à la table. Pas de doute, je suis en France, et c’est bon de la retrouver.

Retour au pays

Deux jours plus tard, j’attaque les monts du Forez, dernier obstacle avant Clermont-Ferrand, ma ville natal. Je sens que l’écurie n’est plus très loin et suis d’humeur joueuse. Je fais donc chauffer les mollets et monter le palpitant dans les tours l’histoire de savourer comme il se doit la dernière ascension du voyage. Je continue de me faire plaisir dans la descente quant au détour d’un virage, le Puy de Dôme apparait à l’horizon. Les virages de Thiers expédiés, je poursuis en direction de mon petit village où je redécouvre rapidement des paysages qui me sont si familiers. Je m’amuse en empruntant les chemins de traverse que j’avais l’habitude de prendre enfant. Et lorsque je pose mon vélo contre le mur du garage de mes parents, j’éprouve étonnamment la même satisfaction et le même plaisir que si j’avais passé l’après-midi en promenade dans les environs. Sauf que cette promenade-là aura duré dix mois. Après avoir retrouver la famille, c’est maintenant au tour des copains le temps d’un week-end.

Il est maintenant temps de finir ce que j’ai commencé dix mois plus tôt. Et alors que je reprends la route, je réalise que je suis en quelque sorte déjà rentré. Avec le recul, je l’étais peut-être même depuis mon arrivé en France. Tout me semble maintenant trop familier. Je n’ai plus qu’une seule obsession, celle de boucler le périple. Si bien, j’expédie Clermont-Paris en trois jours au lieu de quatre. Je profite d’une dernière bouffé d’air frais et d’un dernier moment de nature dans la forêt de Fontainebleau avant de me laisser happer par la pieuvre urbaine. L’agression du bruit, de la pollution, les tumultes de la circulation, pas de doute, j’ai retrouvé la civilisation. Voilà la porte de Vincennes, et Paris. Je remonte le boulevard de Belleville, comme tant d’autres fois. Il est 21 heures. Je pose pied à terre. Je l’ai fait…

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