Après un mois en Turquie, j’avais fini par y trouver mon rythme, mes petites habitudes entre les coutumes turques et la “routine” de mon nouveau mode de vie. Mais tout cela vole en éclats à l’instant même où je passe la frontière. Nouvelle langue, nouvel alphabet, nouvelle monnaie, nouvelle culture, je me revois un mois plus tôt à Istanbul partagé entre appréhension et excitation.

Outre les vieux camions soviétiques que je croise dans les villages, je remarque deux différences notables. Les femmes sont en jupe et surtout elles me disent bonjour et me répondent quand je leur parle. Et je peux aussi agrémenter les repas d’une rafraîchissante bière locale. Quel choc et quel plaisir. Il est amusant de constater comment les choses nous ont manquées une fois qu’on les a retrouvées.

Khachapuri avec une bonne bière

Un autre fait surprenant m’apparaît dans la vallée de Mtkvari qui était autrefois une place centrale de la Route de la Soie concentrant un nombre impressionnant de châteaux et de monastères dont le célèbre Monastère de Vardzia.

Le monastère troglodyte de Vardzia

 

Il s’agit du tourisme. En une journée, j’ai croisé plus de touristes et de voyageurs qu’en un mois en Turquie. Le soir je profite d’un bon bain sulfureux dans une auberge en compagnie de deux Tchèques qui parcourent le monde à la recherche des meilleurs thés.

 

 

À Akhaltsikhe, l’Office du tourisme m’offre le luxe de pouvoir planter ma tente dans l’enceinte même du château médiéval parfaitement restauré.

Une nuit de châtlelin

Le lendemain je fais le choix de gagner koutaissi par les montagnes du parc naturel de Borjomi. La veille, deux musiciens belges m’ont en effet invité à leur concert de musique baroque dans six jours à Tbilissi. Et cet itinéraire me ferait gagner deux jours.

Après m’être assuré que la route soit praticable auprès de la police, je me lance en direction des sommets caucasiens. Ce qu’ils avaient omis de me dire c’est que les trente derniers kilomètres qui mènent au col est une piste et non une route. Cela ralentit ma progression dans les immenses forêts du parc où je dois être le seul humain à dix kilomètres à la ronde au milieu des cervidés, des lynx, des loups et des ours. Arrivé au col, exceptées quelques congères, je n’ai en effet pas eu de neige. Mais je suis monté par le versant sud et un bon 40 centimètres de neige dure m’attend de l’autre côté. Après une heure et quart d’effort et deux kilomètres, je retrouve enfin une piste praticable.

Au col coincé dans la neige

Le soir tombe, je suis trempé, et les traces de loups dans la neige me motivent pour continuer ma route vers le premier village en aval. Après vingt kilomètres dans la nuit noire où je crains de me retrouver face au grand méchant loup à chaque virage, je rejoins enfin le village que j’espérais être un charmant village de montagne. Mais il s’agit en fait d’un immense complexe hôtelier ultra moderne pour riches Russes souhaitant se mettre au vert. À peine arrivé, les gardes de sécurité me font bien comprendre que je ne suis pas le bienvenu. Alors que je tente de planter ma tente discrètement dans un coin, trahi par une caméra de sécurité, un garde me refoule et finit par m’indiquer la boulangerie à l’entrée du village où je suis accueilli avec thé chaud et pâtisseries et surtout un lit.

En pleine dégustation du vin Géorgien

À Koutaissi dans la maison d’hôte de Seliko et Mediko, je découvre enfin un peu plus la culture géorgienne. À peine arrivé, et avant que je n’aie le temps de visiter les chambres et de décharger mes affaires, Seliko m’entraîne à la cave pour me montrer là où il fait son vin et son cognac. Puis il me fait asseoir et goûter sa production artisanale. Le vin est une véritable institution de la culture géorgienne ancrée depuis des siècles. La Géorgie et l’Arménie se disputent d’ailleurs la paternité du breuvage il y a quelques 8000 ans. Et beaucoup de familles font encore leur propre vin tour comme Seliko. Mediko, salvatrice, nous invite finalement à passer à table où je découvre un autre aspect important de la culture géorgienne : l’art de la table et notamment celui de porter des toasts. Une profusion de plats est étalée sur la table. Chacun a deux verres, un pour le vin, l’autre pour le cognac ou la chacha (de la gnôle de la vraie). Le Tamada, maître de cérémonies, est le seul à pouvoir porter les toasts et a tout pouvoir (comme celui de vous demander de finir votre verre cul sec). Durant le repas les toasts s’enchaînent et sont adressés aux convives, à la religion, à la famille, aux défunts, etc. Un repas de fête compte aux minimums quatorze toasts où il convient de finir son verre qui est aussitôt rempli par la personne en charge du vin ou du cognac. Dans ces conditions, les lendemains peuvent parfois être difficiles si l’on néglige de faire honneur au panel de plats devant soi. Sans oublier de ne pas finir son assiette pour montrer que l’on est bien repu. Tout un art.

Trois jours plus tard, c’est sous une pluie battante que je rejoins la capitale Tbilissi. À temps pour assister au concert dans l’un des plus beaux théâtres baroques de la capitale. Les cinq musiciens font chanter leur viole de Gange en parfaite harmonie avec la soprano. l’Assemblée est captivée, nous nous laissons porter par les notes.

Au concert de musique baroque

Je profite des jours suivants pour visiter la ville qui surplombée par la Mère de Géorgie regorge de petits trésors architecturaux anciens comme contemporains.

Tbilissi
Le roi David le Bâtisseur dans le cœur de la ville

Mais c’est le musée national qui m’intéresse le plus car j’espère y trouver une réponse à une question que je me pose depuis mon arrivée dans le pays. Comment un pays enclavé entre de grands empires et qui a été envahi et occupé successivement par les tribus arabes, les Mongoles, les Perses, les Ottomans, la Russie puis l’URSS, est parvenu à converser une culture si forte et authentique ? Deuxième pays après l’Arménie à s’être convertie au christianisme en 331 après JC, la religion est encore très présente aujourd’hui et constitue incontestablement l’un des piliers de leur culture et ce même lorsqu’elle était sévèrement réprimée par l’URSS.

La question reste en suspend lorque je quitte Tbilissi. C’est pour moi une nouvelle étape du voyage qui débute. Je ne vais plus à l’est mais au sud pour rejoindre, via Yerevan ,Téhéran qu’un panneau m’indique à 1300 kilomètres. Mais avant je fais un dernier détour pour aller voir ce qui est pour moi la perle des monastères géorgiens : David Garedja.

En route pour le sud

Si le monastère est simplement magnifique dans son écrin aux roches pastelles. Le trajet pour y parvenir fut lui aussi inoubliable.

Sur la piste pour David Garedja

Alors que je longe une zone industrielle en partie délabrée, je m’arrête à une gare de triage pour contempler depuis la passerelle le triste héritage des années d’industrialisation à marche forcée de l’aire soviétique. À ma descente, je suis cueilli par un policier qui me convie fortement au poste juste à côté. Le responsable me fait soigneusement effacer toutes mes photos de la zone et m’interroge sur les raisons de telles prises de vue craignant au mieux que je sois un journaliste au pire un espion. Finalement une conversation en entraînant une autre la tension redescend et j’ai même droit à un café alors que nous discutons, à grand renfort de Google traduction, de mon voyage. Une heure plus tard, ils me laissent finalement repartir. Je regrette amèrement cette petite heure lorsque je vois le soleil descendre sur l’horizon et que je me lance sur la piste qui longe la frontière azéri et qui mène au monastère vingt kilomètres plus loin. La nuit est sans lune et alors que je désespère d’arriver au monastère, je suis stoppé net par un puissant faisceau venu de la crête. Le garde-frontière me crie quelque chose. Je réponds “David Garedja”. On me demande “tourist?”. “Yes”. Le faisceau s’éteint accompagné d’un impérieux “go”. Je ne me fais pas prier. Et lorsque j’arrive enfin à l’embranchement qui mène au monastère, et que je veux vérifier qu’il s’agit du bon itinéraire sur mon téléphone, sueurs froides, celui-ci est introuvable. Je le retrouve un kilomètre plus haut, sagement allongé entre les deux nids-de-poule responsables de son escapade. Enfin arrivé au site du monastère, la nuit est tellement sombre que je ne sais même pas dans quelle direction scruter l’obscurité pour espérer l’apercevoir. Je suis la seule lumière que je vois et qui semble provenir d’un hôtel en construction. Les ouvriers m’accueillent de bon cœur et après manger tentent de m’apprendre les rudiments du backgammon. Alors que je m’endors enfin dans un petit coin de l’hôtel, j’entends au loin hurler les loups. Quelle journée.

Le lendemain, alors que je visite enfin les lieux, le chant des moines et l’odeur de l’encens me parviennent. Je prends le temps d’apprécier cette atmosphère tout en contemplant le paysage.

Le monastère de David Garedja

Je rejoins ensuite un autre monastère, en ruine celui-là, situé juste à la frontière. Lorsque j’arrive à la crête qui matérialise cette délimitation artificielle, et que je vois les plaines azéries s’étendant devant moi, je suis frappé par l’absurdité du système. Il ne me faudrait qu’un pas pour les atteindre. Mais au lieu de cela, j’ai besoin d’un visa et de passer par un poste frontière à plusieurs centaines de kilomètre de là.

La frontière azérie

Je délaisse donc l’Azerbaïdjan pour l’Arménie qui n’est plus très loin. Sur la route je dois passer à Rustaveli. En périphérie de la ville je suis accueilli par des barres d’immeubles made by URSS dont la maigre couche de peinture vive peine à masquer la décrépitude . Dans le centre, je retrouve les larges artères bordées par d’imposants et austères bâtiments dans le plus pur style soviétique. Puis je passe la rivière, et là, accolée à la première, une nouvelle Rustaveli est en construction avec de larges trottoirs pour les passants, de la verdure, et des maisons de couleur dans un style géorgien moderne. Je comprends maintenant comment à travers les siècles et les invasions, ils sont parvenus à conserver leur culture si forte. Tout comme leur grand roi David le Bâtisseur dix siècles auparavant, ils reconstruisent encore et toujours pour bâtir leur futur et retrouver leurs racines.

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