Les montagnes tadjikes

Par le hublot, j’aperçois les hauts sommets enneigés du Tadjikistan. Mais une fois au sol, j’ai la très agréable surprise d’être accueilli par une douce température. Devant être en Ouzbékistan le lendemain, je n’ai pas le temps de traîner. Je remonte sur mon vélo et me voilà sur la route pour parcourir les 70 kilomètres qui me séparent de la frontière.

Le paysage est magnifique et les gens sont très sympathiques. C’est une vraie frustration de ne pouvoir rester plus longtemps dans ce pays. Mais je n’ai que trente jours pour visiter l’Ouzbékistan et ses fameuses cités de la Route de la Soie, tenter d’aller voir ce qui reste de la Mer d’Aral et obtenir le visa pour la Chine. Je suis donc pressé par le temps et le refus que j’ai essuyé pour le visa Turkmène me rappelle qu’il pourra en être de même pour la Chine.

Le 10 février au matin, je m’avance dans le poste frontière. Passer la frontière peut parfois être long et pénible, mais cette fois, c’est encore pire. Mes sacs gisent éventrés sur la table, toutes mes cartes SD sont inspectées, ainsi que mon téléphone, et ma pharmacie est intégralement épluchée. Au bout de deux heures, me voilà enfin de l’autre côté, en direction de Samarcande à cinq jours de là.

Une rencontre avec des Ouzbeks sur le bord de la route

Heureusement pour moi, les Ouzbèkes sont bien plus sympathiques et accueillants que ne le sont leurs douaniers. Je passe ma première nuit dans un café à jouer au backgammon et à être initié au poker local, alors que chaque nouveau client qui arrive se fait un plaisir de m’offrir un bolet de Vodka. Le lendemain, je fais mes premiers tours de roue dans les steppes. Après trois mois en Iran et dans les montagnes Arméniennes, je redécouvre avec bonheur la couleur verte et malgré la pluie, j’ai l’impression que le printemps n’est plus très loin. Après quatre jours, il ne me reste qu’un dernier obstacle avant Samarcande : un col à 1600 m. L’ascension se fait sous la pluie et je suis surpris de la voir se transformer en neige juste pour les 200 derniers mètres d’altitude. Mais complètement trempé par la pluie, la neige, et l’effort de la montée, la descente s’avère vite être un calvaire. Au bout de 20 km, je me refugie sous le préau d’une salle de réception et tente tant bien que mal de me réchauffer les mains. Le gardien, ayant vu le piètre état dans lequel je me trouve, m’apporte une théière. Il me faudra dix minutes avant que le tremblement de mes mains cesse et me permette de le boire. Le soir venu, j’arrive enfin à Samarcande, un nom qui fait écho à la grandeur passée de la Route de la Soie et qui fait rêver les voyageurs d’aujourd’hui.

Un berger
Tamerlan

L’histoire de Samarcande et de l’Ouzbékistan est intimement liée à Tamerlan (appelé aussi Timour le boiteux), le redoutable chef de guerre Turco-Mongol du XIVème siècle. Il bâtira un empire des frontières de l’Inde jusqu’à la Turquie orientale, en pillant et massacrant sans pitié. Malgré sa terrible cruauté, il n’en est pas moins un protecteur des arts qui n’hésite pas à faire venir (souvent sans leur consentement) les meilleurs artisans des quatre coins de son empire pour faire de sa capitale, Samarcande, son joyau avec le remarquable mausolée de Gour Emir, la mosquée Bibi-Khanym et la nécropole Chah e Zindeh. Son petit fils Ulugh Beg, astrologue averti et bien moins belliqueux, continuera d’ajouter à la grandeur de la ville en faisant construire sa Madrassa (université) en plein centre sur le Régistan (la place sablonneuse) où deux siècles plus tard la dynastie des Chaybanides ajoutera deux autres Madrassa : Cher Dor (qui porte des lions) et Tilla Qari (couverte d’or). C’est ébahi par ses trésors que je quitte Samarcande en y laissant mon vélo et le printemps avec la percée des premières fleurs. Et l’hiver me rattrape à Boukhara, cité rivale de Samarcande.

La mosquée de Bibi Khanoum
La nécropole de Chah-e-Zindeh
Le Registan

C’est donc sous la neige, que je parcours cette ville désertée dans une ambiance quasi-mystique et y découvre les cent quarante monuments classés par l’UNESCO dont elle regorge. Contrairement à sa rivale où l’urbanisme moderne a transformé ses joyaux architecturaux en une succession d’attractions culturelles, Boukhara a conservé une authenticité avec son dédale de ruelles, de places, de madrassas, et de mosquées avec son imposant Ark (château) en œuvre maitresse.

Les remparts de l’Ark de Boukara sous la neige
Une madrassa à Boukara

Si Samarcande resplendit par la beauté des ses monuments, Boukhara par l’atmosphère qui y règne, la ville de Khiva est un écrin dans lequel le temps s’est arrêté. Passer ses imposants remparts, c’est comme remonter le temps de deux siècles. Il n’y a plus qu’à se laisser porter par le souffle de l’histoire au gré des ruelles avec les minarets perçants le ciel comme uniques guides. Une expérience unique qui fait de Khiva ma préférée des trois cités.

Khiva
Dans les rues de Khiva
Les épaves de la Mer d’Aral

Malgré le temps qui passe, je décide d’entreprendre le voyage jusqu’à Moynac, un port de pêche autrefois sur les rives de la Mer d’Aral. Après dix heures de transport, j’y parviens peu avant la nuit. La lumière du crépuscule accentue la désolation du triste spectacle qui s’ouvre devant moi. La mer, maintenant retirée à plus de 200 km, est hors de vue. Elle a laissé place à une étendue aride où de petits arbustes peinent à pousser au milieu du sable et de sa forte salinité. Près de ce qui était autrefois le rivage, gisent les coques rouillées de vieux bateaux, vestiges de l’industrie de la pêche qui fleurissait ici, et témoins silencieux de la tragédie qui a suivi. Dans les années soixante, les autorités soviétiques décidèrent d’intensifier la culture du coton et utilisèrent donc pour l’irrigation les eaux des deux fleuves Amou Daria et Syr Daria qui alimentent la Mer d’Aral. Depuis, la mer a perdu 75% de sa superficie et 90% de son volume. Une grande partie des espèces endémiques ont disparu avec le retrait des eaux tout comme l’industrie de la pêche, privant 10 000 personnes d’emplois. Il s’ensuit un exode massif de 60 000 personnes. Et les répercutions de la catastrophe se font toujours sentir aujourd’hui. Sans la mer, la région a perdu son climat tempéré pour un climat semi-aride très chaud en été et glacial en hiver. La forte concentration de sel dans les sols et de pesticides charriés par ce qui reste des fleuves ont fait exploser les taux de mortalité infantile et de cancer. Voilà comment d’une lubie productiviste naît une catastrophe environnementale qui entraîne un désastre écologique, économique, social, migratoire et sanitaire. Je suis véritablement sonné par la tristesse du lieu et abattu de constater que l’humanité répète encore et toujours les mêmes erreurs et cette fois à grande échelle. Quelle folie !

Autrefois la mer d’Aral

Il est plus que temps pour moi de repartir à l’est pour Tachkent, la capitale Ouzbèke, afin de m’occuper de mon visa chinois. Cela me préoccupe depuis mon arrivée en Asie centrale. De plus, obligé de dormir régulièrement à l’hôtel pour m’enregistrer, handicapé par la barrière de la langue qui ne s’est jamais fait autant ressentir, je suis frustré de n’avoir finalement rencontré que peu de monde le long du chemin. Je n’ai plus qu’une hâte, reprendre la route en vélo en direction du Kirghizistan et de la Chine.

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