À partir de Samsun, la côte de la Mer Noire devient un chapelet de villes quasi continu, reliées entre elles par une deux fois deux voies flambant neuve qui défigure le beau littoral mais me permet d’enchaîner les journées de 80 à 100km sans grande peine.

Ces villes font partie de ce qu’on appelle les tigres d’Anatolie. Autrefois délaissées par le pouvoir Turc tourné vers l’Europe, elles sont aujourd’hui en pleine essor et connaissent une croissance économique importante grâce à une stratégie d’échange commercial avec le Moyen-Orient, le Caucase et la Russie. Elles sont l’image de la Turquie moderne, non plus tournée vers l’Europe et une hypothétique adhésion à l’Union Européenne, mais pragmatique et déterminée à se faire sa place dans le monde d’aujourd’hui.

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Les amazones

Samsun en est pour moi sans conteste le meilleur exemple. Pays des amazones au XII ème siècle avant JC, elle est aujourd’hui une ville ultra moderne et agréable. La population a explosé par dix et de nombreux nouveaux quartiers sont sorti et sortent encore de terre. Pour comprendre la Turquie de demain, le meilleur moyen reste de parcourir le ville et discuter avec les habitants. Tout d’abord car c’est ici qu’a débuté le 19 mai 1919 la guerre d’impédance menée par Mustafa Kemal après que le pays ait être largement amputé de ses territoires par les vainqueurs de la 1ere guerre mondiale suite à la défaite de l’Empire Ottoman. Un petit musée retrace la vie de cet homme hors du commun, père des trucs ( Atatürk) et de la république. Visionnaire, il reforma le pays, y instaura une république laïque, et accorda le droit de vote aux femmes dès 1930. Voici une citation extraite d’un de ses discours datant de 1924 qui résonne encore aujourd’hui ” Pour tout dans le monde, pour la civilisation, la vie, la réussite, le vrai guide est la science. Chercher une voie autre que la science serait de l’ignorance, de l’obscurantisme, et de l’inconscience.”

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Statut équestre d’Ataturk

C’est à Samsun que je fais aussi la rencontre de Sherkan, diplômé d’université et kémaliste, qui m’apprend que même si le pays se modernise à toute vitesse, le poids des traditions reste vivace et de Fathi, autodidacte sans diplôme, qui dans un anglais parfait m’explique que malgré l’absurdité du monde d’aujourd’hui avec un avenir incertain, il est déterminé à se bâtir la vie qu’il désire. C’est dans ces multiples ambivalences, ni Européenne et ni arabe, laïque et musulmane, moderne et traditionnelle, que se crée la Turquie de demain.

Par trois fois, je parviens à m’échapper de cet urbanisme tentaculaire. Peut après Fatsa, tandis que la nouvelle route plonge sous les collines par le plus grand tunnel de Turquie, la vieille route serpente le long de la côte et offre un magnifique paysages entre petits villages typiques et criques aux falaises abruptes surplombant la Mer Noire. Je profite d’ailleurs de la quiétude de l’une d’elles pour piquer une tête dans les eaux certes un peu froides de la Mer Noire.

La crique après Fatsa

 

Le traditionnel çay

Un peu plus loin sur la route, je m’arrête au café d’un sacré personnage. Recordman des cheveux les plus long du monde dans sa jeunesse, son thé est un des plus réputé de la région. Et il est effectivement délicieux, mais c’est son sucre qui est son véritable secret.

Je fuis ensuite Trazbon, très importante ville portuaire, qui sous les pluies traditionnelles en cette saison n’a rien d’engageant pour aller voir à 40km de là le monastère de Sumela accroché à la falaise à 1400m d’altitude. Il est fermé pour rénovation mais le pouvoir l’admirer en vaut quand même le détour.

Malheureusement, je n’ai le temps de l’apercevoir que quelques secondes avant que le brouillard ne le recouvre jalousement.

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En arrivant à Sumela

Je décide de dormir sur place dans l’espoir de pouvoir profiter du spectacle le lendemain. Et quel spectacle, après une nuit très humide et froide, je me réveille sous la neige qui a blanchit la vallée. Et au travers des branches, le monastère se dévoile enfin. Un instant de grâce.

Le monastère de Sumela

Peut après je rejoins à nouveau la côte, et je m’arrête à Rize. Capitale turque du thé, les champs de thé teintent les collines surplombant la ville d’un vert flamboyant.

Rize et ses champs de thé

 

La ville est paisible et accueillante, mais un détail tranche avec toute les autres villes traversées jusqu’à maintenant. Alors que le drapeau truc flotte traditionnellement en centre-ville avec le portrait d’Atatürk dessus, ici il est remplacé par celui de Erdogan, l’actuel président. Si Samsun est la ville d’Atatürk, Rize, conservatrice, est celle d’Erdogan, comme en témoigne le panneau indiquant la Recep Tayyip Erdogan à l’entrée de la ville.

Un peu plus loin, je m’enfonce à nouveau dans les terres pour monter dans la vallée de Firtina, une des plus belle de la Turquie. Si le bas de la vallée offre un beau paysage classique de la Mer Noire que l’on peut découvrir en rafting, je peine à croire que je ne suis qu’à 30 km de la mer lorsqu’au détour d’un virage je vois surgir le château de Zilkale, perché sur un piton rocheux au dessus d’une vallée escarpée aux couleurs sang et or de l’automne avec au bout de la vallée des sommets enneigés. Malgré le froid, je suis très chaleureusement accueilli par les chauffeurs de taxis avec qui je passe la soirée et le petit-déjeuner. Si un jour d’aventure, vous passez dans la région, saluez-les pour moi.

En remontant la vallée de Firtina
Le donjon de Zilkale

En arrivant à Hopa, la dernière étape de mon voyage de 1’700km le long de la Mer Noire, je vois se dessiner à l’horizon les côtes géorgiennes , signe que mon périple en Turquie touche à sa fin. Et pour notre dernière journée ensemble, la Mer Noire et le beau temps retrouvé m’offrent un instant privilégié où j’ai le plaisir d’assister à mon seul et unique couché de soleil dans ses eaux. Le soir même, par un heureux hasard, je rencontre un professeur de truc qui a enseigné en France. La soirée que je passe avec lui et ses amis, la plus part socialiste voir marxiste devant l’Éternel est joyeuse. Une belle façon de conclure ce beau périple le long de la côte de la Mer Noire.

Couché de soleil sur la Mer Noire

Alors que la Géorgie n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres en suivant la côte, je décide de m’enfoncer dans les terres en direction des montagnes de l’est de la Turquie. J’évite ainsi Batumi dont les principales attractions sont des Casino et des salons de “massages”.

Les champs de thé me mènent à mon 1er col qui m’offre un dernier regard sur la Mer Noire qui fut mon guide pendant les 1700 km de mon 1er mois d’aventure. Face à moi, je découvre les paysages qui seront désormais mon quotidien jusqu’aux plaines iraniennes, des montagnes aux sommets enneigés.

Un dernier regard sur la Mer Noire

Ma première étape est Artvin que je rejoins le soir venu. Accroché sur les flancs abrupts d’une vallée, le centre ville est bien entendu dans les hauteurs. Jolie surprise après une journée à 1600 mètres de dénivelé positif. Et c’est à bout de souffle que je pose enfin pied à terre une heure plus tard. Les verdoyants paysages de la veille ont maintenant laissé place à un canyon aride et rocailleux. J’ai l’impression d’être dans un western. Mais à mesure que je le remonte, le versant nord du canyon se couvre peu et peu de végétation qui se densifie pour devenir une luxuriante forêt aux couleurs automnales.

Le monastère de Porta

Sur le versant sud accablé par la morsure du soleil, seuls de maigres arbustes subsistent. C’est dans ce cadre, que perché dans les hauteurs je découvre le monastère géorgien de Porta.Petit, en partie en ruine et sans prétention, il n’en reste pas moins impressionnant par les dix siècles d’histoire qu’il a traversé pour que je puisse le contempler en toute humilité dans la quiétude de la vallée. Le jour suivant je quitte l’est américain pour retrouver les paysages familiers de mon enfance des pré-alpes suisses.

Les “pré-alpes”

Le soir, je me rends un peu à l’improviste chez Atanur qui tient un hôtel “eco-copain” que l’on m’a recommandé. Je le trouve en pleine soirée avec des amis. À peine ai-je eu le temps de me présenter, qu’ils m’accueillent à leur table et me servent un verre du fameux raki que je n’avais pas encore eu le loisir de goûter. Les gens en montagne ont cette faculté incroyable de vous accueillir sans prétention et de vous faire sentir chez soi le plus simplement du monde.

Atanur et ses potes

Après avoir passé une journée au milieu des volailles et des chiens d’Atanur pour entretenir Jolly Roller, je m’attaque à mon premier col à plus de 2000 mètres. Une fois redescendu de l’autre côté, j’ai l’impression d’avoir fait un bond de plusieurs milliers de kilomètres jusqu’aux steppes d’Asie centrale.

L’ascension du col
Enfin en haut

 

 

 

 

 

 

Cette région est magique et chaque vallée est un voyage. Le lendemain, après avoir passé mon dernier col en Turquie à plus de 2500 m, je souffle mon 2000 ième kilomètres alors qu’à l’horizon se profile la Géorgie avec ses montagnes et ses forêts. La frontière n’est plus très loin. Une page se tourne.

La Géorgie à l’horizon
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1 Comment

  • marion

    Salut Pierre,
    Je viens de recevoir ta carte. Je te remercie elle m’a faite très plaisir. Je vois que ton voyage se déroule bien et que tu vois des paysages magnifiques. J’espère que le séjour du nouvel an s’est bien passé et que vous avez bien profité. Je te souhaite une belle et heureuse année 2017 qui commence par de belles aventures! bisous Marion

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